La vive polémique qui existe sur l’utilisation de l’article 49.3 m’amène cette fois à remettre en question la connaissance d’une partie de l’histoire de la Ve République et les raisons profondes de celle-ci. Les électeurs de 1958 ont donc rédigé l’article 49 section 3 de la nouvelle constitution.
Rappelons d’abord les conditions dans lesquelles ce paragraphe a été adopté. Cela faisait partie d’un article dont le but était de rééquilibrer les relations entre le gouvernement et l’Assemblée en faveur de l’exécutif, de remplacer le régime de souveraineté parlementaire grossièrement dysfonctionnel de la IVe République par un régime de parlementarisme rationalisé.
Cet article reposait sur trois éléments : l’engagement du gouvernement vis-à-vis de l’Assemblée concernant son programme ou sa déclaration de politique générale, l’interpellation par l’Assemblée du gouvernement par le dépôt d’une motion de censure, et enfin l’engagement du gouvernement sur un texte : « Le Premier ministre peut après délibération en Conseil des ministres, délègue au gouvernement devant l’Assemblée nationale le soin de voter un texte. Dans ce cas, le projet sera considéré comme accepté à moins qu’une motion de censure, déposée dans les 24 heures dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, ne soit approuvée.
Ainsi, le premier ministre pouvait utiliser cette disposition pour n’importe quel projet de loi et autant de fois qu’il le voulait au cours d’une session. Cet article, dans l’esprit des électeurs pour le maintien du système parlementaire contre le général De Gaulle qui n’en voulait pas, visait à remédier à l’instabilité gouvernementale qui avait miné la IVe République (24 gouvernements se sont succédés en dix ans). paralyse l’exécutif et menace le régime de s’effondrer. Dans ce système parlementaire rénové, voulu à la fois par les leaders parlementaires de l’ancienne république, notamment par Guy Mollet, chef du parti socialiste et ancien chef de gouvernement du Front républicain, et par Michel Debré, conseiller de confiance de de Gaulle, il prône en maintenant un système parlementaire, le Premier ministre était tenu de diriger efficacement le gouvernement et s’est vu accorder, en vertu de l’article 49, le pouvoir d’assumer des responsabilités exécutives. La révision constitutionnelle de 1962, en introduisant l’élection du président de la République au suffrage universel, confirme que le président de la République a une autre idée du fonctionnement du régime, aboutit au limogeage de Debré et à la rupture définitive avec Mollet. . Mais l’article 49 est resté inchangé jusqu’à la révision de 2008.
Il faut donc retenir deux points importants de ce moment fondateur de la Ve République. Premièrement, l’article 49 (3) est une disposition clé de la Constitution de 1958, approuvée à l’époque par les députés de gauche et de droite et confirmée lors d’un référendum avec 82 % de voix pour et seulement 17 % d’abstentions. Le qualifier de « vice démocratique » est le signe d’une incompréhension de la logique de fonctionnement de ce régime. Cette section a effectivement créé la stabilité du gouvernement. Depuis 1958, l’article 49.3 a été activé 89 fois (33 fois par un dirigeant de droite et 56 fois par un dirigeant de gauche). Exiger sa suppression conduirait à la destruction de ce régime parlementaire renouvelé, que les parlementaires ont voulu opposer au présidentialisme gaulliste en en confiant l’usage au Premier ministre.
Deuxièmement, ceux qui critiquent cette disposition semblent oublier que son activation fait courir un risque principalement au gouvernement. Si l’exécutif est accusé de « l’appliquer », il doit en fait être « approuvé » puisqu’une majorité absolue des députés peut l’annuler. Il n’est « approuvé » que s’il n’y a pas de majorité alternative qui l’en empêche. Dans ces conditions, on pourrait penser qu’un gouvernement les utiliserait parce qu’il estimerait que leur adoption était suffisamment importante pour mettre en péril ses responsabilités. Il n’y a là rien d’antidémocratique, si ce n’est que le gouvernement n’a pas la légitimité nécessaire pour faire adopter son texte. Mais alors il ne s’agit plus seulement de la légitimité du président, comme on l’a dit, mais plus largement de celle du parlementarisme rationalisé lui-même. Il est étonnant que la gauche, qui a toujours critiqué la monarchie présidentielle et appelé à l’instauration d’un parlementaire VIe République , veut supprimer une disposition qui rend viable un système qui préserve le caractère parlementaire du régime.
Par ailleurs, les détracteurs du 49.3 s’élèvent désormais contre un article radicalement modifié par la révision constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy et votée en 2008. Cette révision a drastiquement réduit le périmètre de responsabilité, malgré les critiques des années précédentes d’engagement sur un texte. Le nouveau paragraphe 3 se lit comme suit : « Le Premier ministre, après délibération en Conseil des ministres, peut déléguer à l’Assemblée nationale la compétence du Gouvernement pour voter toute loi relative au financement ou au financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet de loi sera réputé approuvé à moins qu’une motion de censure déposée dans les 24 heures suivantes dans les conditions prévues à l’alinéa précédent ne soit approuvée. Le Premier ministre peut également recourir à cette procédure pour un autre projet de loi ou un projet de loi par session. »
Il est normal que le gouvernement dispose des moyens nécessaires au fonctionnement de l’Etat et assure donc le financement des dépenses publiques et des dépenses sociales en particulier. On espérait que cette modification aurait semblé suffisante à ses détracteurs. Ce n’était pas comme ça. Compréhensible dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, qui appelle désormais à l’usage de la force pour bloquer le vote de la loi sur les retraites. C’est encore plus surprenant dans le cas des socialistes, qui ont participé à l’élaboration de la constitution de 1958, régie par cet article alors qu’ils n’avaient pas la majorité, et qui aujourd’hui, quoique de plus en plus discrètement, affirment leur allégeance au système parlementaire.
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