Il y a 50 ans, la France avait « les bras ouverts » pour les exilés politiques sud-américains

Le 11 septembre, le général Augusto Pinochet prend le pouvoir au Chili et renverse le président Salvador Allende, décédé peu après. Depuis ce jour, María Eugenia Mignot-Verscheure n’oublie pas le « bruit d’un hélicoptère » survolant son Valparaíso.

Les événements arrivent rapidement. Son frère lui dit qu’il est sur la « liste des personnes à arrêter ». Avec leur aide, quelques jours plus tard, elle s’enfuit chez son mari français à l’ambassade de France à Santiago.

« Nous avons dit avec beaucoup de douleur que nous partirions parce que nous étions convenus avec de nombreux amis de résister le plus possible », raconte à l’AFP cette femme de 75 ans aux cheveux blancs épinglés dans son petit appartement parisien plein de souvenirs. .

La principale préoccupation de cette membre du MAPU, l’un des partis de gauche de l’Unité populaire d’Allende, était l’avenir de son bébé, finalement né grâce à « la protection de l’ambassade de France ».

L’ambassadeur de l’époque, Pierre de Menthon, et son épouse Françoise ont veillé à ce qu’elle accouche en toute sécurité dans une clinique proche de chez elle, où elle a trouvé refuge, et l’action d’un autre diplomate a été cruciale pour leur transfert en France.

« C’est fini. « Elle est française et elle va en France », a-t-il déclaré à l’aéroport de Santiago au militaire qui avait fait descendre la famille de l’avion, assurant que son bébé était « chilien et non chilien ». [tenía] sauf-conduit », explique Mignot-Verscheure.

« Ils n’ont pas osé nous arrêter. Nous sommes remontés dans l’avion. Les portes se sont fermées et nous sommes arrivés en France », se souvient-il. Avez-vous nommé votre fille Marie-France en hommage à ce pays ? « Inconsciemment, oui », plaisante celle dont elle appelle la deuxième fille María Paz.

« Bras ouverts »

L’exil des Latino-Américains est l’un des épisodes relatés au Musée national de l’histoire de l’immigration, installé dans un palais Art déco de l’est de Paris. Entre 1964 et 1979 seulement, la France a accueilli 15 000 exilés politiques brésiliens, argentins, uruguayens et « surtout chiliens ». Beaucoup d’autres viendront plus tard.

Les exilés interrogés par l’AFP s’accordent à décrire l’accueil « à bras ouverts » qu’ils ont reçu dans le contexte de politiques migratoires renforcées en France.

« Nous étions comme une grande famille », raconte en souriant Leyla Guzmán, une Chilienne de 53 ans qui, enfant, a vécu pendant un an au centre d’accueil de Fontenay-sous-Bois, à l’est de Paris, où elle travaille désormais comme aide-soignante. conseiller municipal.

A l’entrée du centre, aujourd’hui Casa del Ciudadano, une plaque rappelle que l’organisation catholique Mission de France y a accueilli 771 réfugiés latino-américains entre 1973 et 1987, dont près de la moitié étaient mineurs.

«Tout un réseau s’est constitué entre associations, maires de gauche et autorités pour accueillir au mieux les réfugiés d’Amérique latine. Et tout a été fait pour rendre les enfants heureux », ajoute-t-il.

Et les plus âgés aussi. « Nous avions l’habitude de venir au ‘foyer’ pour rendre visite aux collègues qui étaient là, pour prendre un moment, prendre un café ou faire un barbecue », se souvient José Luis Muñoz, un Uruguayen de 74 ans qui vivait en 2011, la France est arrivée en Argentine en 1976 après le coup d’État.

Muñoz lui-même a visité le centre d’accueil de Massy et se souvient comment la gauche française leur a permis de « s’émanciper », de trouver un emploi et « d’exister ». Dans son cas en tant que travailleur social.

La France n’était pas la première destination pour beaucoup. José Luis Rodríguez, également Uruguayen, 75 ans, a parcouru plusieurs pays d’Amérique latine avant d’atterrir en Europe avec une idée fixe : « annoncer à mes parents que j’étais en vie (…) J’ai quitté secrètement ma maison. »

L’« Espoir » d’Allende

Dans la France d’après mai 1968, la mort du président chilien a choqué une gauche en quête de pouvoir avec à sa tête le socialiste François Mitterrand. Ceux qui ont disparu pendant la dictature argentine ont également laissé leur marque dans le pays.

« Allende représentait pour la gauche quasi-mondiale l’espoir de cette fameuse troisième voie : un régime socialiste, de gauche mais en même temps démocratique », explique Philippe Texier, ancien juge français de 82 ans, fondateur du comité de juristes. appeler le Chili à abandonner Pinochet – à dénoncer publiquement le régime.

Ce coup « est une histoire française », dit la cinéaste chilienne Carmen Castillo, pour laquelle, malgré les « déchirements » de l’exil, elle a reçu un « cadeau » : le cinéma, avec lequel elle veut « lutter contre la machine de l’oubli ». .

Pour son travail, l’ancienne militante du MIR, âgée de 78 ans, a reçu en juillet la Légion d’honneur française avec le grade de « Chevalier ». Pour eux, c’est une « reconnaissance » des Chiliens qui ont œuvré pour la liaison entre le Chili et la France.

L’héritage de l’exil existe toujours. En 2022, deux enfants de Chiliens exilés, Rodrigo Arenas et Raquel Garrido, deviennent députés français.

«Nous avons été élevés avec une conscience politique très forte», explique Arenas, arrivé en France depuis son Chili natal en 1978, à l’âge de quatre ans. « Donc pour moi ça faisait partie de l’univers de Star Wars avec Pinochet » dans le rôle de Dark Vador. Nous étions les Jedi.

Adrien Richard

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