Alfredo Arias : « La bagarre est plus attirante que la chance »

Il aime être à l’heure, il connaît les tracas d’attendre ou de manquer des accords. Son engagement transcende l’horloge, il transcende le temps. Il croit que l’histoire, en majuscule, est le produit d’être au bon moment. Airs d’Alfredo apparaît exactement à la seconde où cette interview a été organisée. Revue chronologique de ce réalisateur, acteur, metteur en scène : c’est un enfant né dans un foyer hostile à ses intérêts, qui a été bercé par le cinéma de quartier, un adolescent qui a fréquenté le lycée militaire imposé par sa famille, un jeune homme , lui-même né à Di Tella, est contraint de s’exiler à Paris en 1968 et adopte une autre langue qui n’altère pas son accent argentin. C’est un homme de « l’âge abstrait » qui parle pour l’avenir, qui va et vient pour créer plus loin.

Nouvelles: Qu’avez-vous dû attendre ?
Airs d’Alfredo : Par exemple, pour pouvoir faire des films. Parce que ma première idée était d’aller dans le sens du langage cinématographique. Le cinéma de quartier a été fondamental dans mon éducation, j’avais l’espoir de pouvoir faire et réfléchir sur cet écran là-bas. J’ai été piégé dans le théâtre pour diverses raisons.

Nouvelles: Combien de temps vous a-t-il fallu pour aller au cinéma ?
Bélier: Le cinéma est enraciné parce que c’est un art communautaire dynamique qui nécessite toute une communauté. Et pour moi, étant déracinée, c’était très difficile de trouver mon sujet et de parler de choses qui m’appartenaient profondément, même si j’ai essayé une fois. Et deuxièmement, j’ai dû m’appuyer sur plus de matériel culturel, plus de matériel savant. Avec « Fanny walks » je peux enfin faire un film dans ma ville et avec mes racines.

Nouvelles: Si le cinéma est lié aux origines, c’était presque un besoin de retrouver la chaleur du foyer, et la sienne lui était hostile.
Bélier: Oui, mais peut-être que cette hostilité m’a aidé à tomber encore plus amoureux d’autres choses. Car si je dois faire, par exemple, cinq ans de lycée militaire, je m’évade en imaginant des films, et cela restait comme un avantage de cette agression que j’ai dû endurer, car au final l’imaginaire a toujours été un refuge. Je me souviens de la cérémonie d’aller au cinéma le mercredi avec ma grand-mère et ma cousine.

Nouvelles: Quel rôle ta mère a-t-elle joué ?
Bélier: Beaucoup de femmes de cette époque sont allées au mariage et se sont alors demandées ce que je faisais ici et que le malheur faisait que les frustrations se reflétaient chez les enfants. Et en tout cas, j’ai beaucoup souffert de ces rebonds. Je pense que ma mère aurait dû avoir un espace pour exprimer sa frustration et je lui ai offert cet espace puisque j’étais un gamin différent parce que ce que je voulais n’entrait pas dans le canon d’une petite bourgeoisie douloureuse.

Nouvelles: Et il s’est déclaré « enfant péroniste » dans un foyer radical !
Bélier: Oui je n’abandonne jamais mon identité Je n’ai jamais eu peur d’être différent. Cela n’a jamais été une épreuve, tout comme la perte des racines qui a été plus compliquée.

Nouvelles: Presque que l’exil en France succède à cet exil symbolique de l’enfance.
Bélier: Je pense que oui. Une fois, le psychanalyste m’a dit : « Il fallait mettre l’océan entre toi et ta famille pour continuer à exister ». Une de mes obsessions était de ne pas dévier du chemin que je m’étais tracé et d’essayer de trouver comment résoudre des situations pour qu’elles ne m’entraînent pas dans une position de médiocrité. J’ai été emporté par le tsunami de Di Tella et tout cela m’a façonné. J’ai toujours réussi à tenir le coup, mais cela demande beaucoup de discipline et beaucoup de lucidité.

Nouvelles: Quand un artiste trouve sa voie pour s’exprimer, devient-il bourgeois ou continue-t-il à avoir un esprit effervescent ?
Bélier: Ce qui se passe, c’est que ces instants éblouissants ont aussi un effet feu d’artifice, ils agissent comme une célébration de soi face à la créativité. Ce qui reste quand le feu est éteint est tout ce qu’il y a à apprendre. Cela ouvre le grand mystère de savoir comment traverser ce labyrinthe et ce que vous devez apprendre pour continuer à survivre sur ce chemin.

Nouvelles: Quelle a été la chose la plus difficile à apprendre pour vous ?
Bélier: Culture française. J’ai eu la chance d’arriver et d’avoir un impact immédiat, et cela a ouvert une voie qui se poursuit encore aujourd’hui. Mais la langue est une montagne à démêler, comment s’exprimer et comment comprendre la construction d’une culture à travers sa langue… Car le problème c’est que la langue maternelle permet d’avancer avec confiance, mais quand on le fait on est en une culture étrangère, est confronté à une énigme.

Nouvelles: Et qu’a-t-il fait ?
Arias : On pourrait dire que deux cultures coexistent en moi. Il y a la culture des racines, qui est spontanée, affective, intuitive, pure émotion ; et il y a le français, qui est tout appris, une œuvre intellectuelle. Ici je peux diriger intuitivement, là je dois apprendre.

Nouvelles: À 78 ans, il a toujours cet esprit écrasant qui va et vient.
Bélier: Oui, c’est l’avantage de ne pas vivre dans les schémas que nous propose la société, d’ignorer les âges et les rôles que la société nous propose : l’enfant, le jeune, l’adulte, le vieux et le défunt (rires). Je ne me suis pas senti obligé d’adopter l’un des formats. Je vis à une époque abstraite. C’est plus l’apparence qui me rappelle mon âge.

Nouvelles: Il dit: « Le crack est une tétine qu’ils nous ont donnée pour nous divertir et perdre notre temps. Vous ne pouvez pas avancer ou reculer, c’est une sorte de veille. » Où es-tu quand tu n’es ni d’un côté ni de l’autre ?
Bélier: je suis dans le futur Il me semble que globalement et sans entrer dans les problèmes de l’Argentine, le système politique est mort, nous sommes dans les griffes d’un vieux monde politique. Regardez ce qui se passe avec Poutine : il veut être un tsar, il veut être quelqu’un d’en arrière, pas d’avant. La question est, où devrions-nous regarder les politiques proposées?

Nouvelles: Il est passé de cet enfant péroniste autoproclamé à un adulte qui dit : « Le péronisme est un fait historique qu’il serait bon de dépasser et de trouver d’autres façons de se penser.
Bélier: Savez-vous pourquoi je peux dire cela ? Parce que je ne rentrerai jamais dans l’anecdote. Je veux être dans l’essentiel. Je pense qu’en fin de compte, en tant qu’artistes, nous servons à donner un but, un sens, donc je dis qu’il faut tout éliminer et parlons des choses de base. Il semble que cette histoire nous dise, restez où nous sommes, il n’y a pas moyen d’avancer. Et le monde a déjà changé.

Nouvelles: Il faisait partie de l’expérimentation des années 60, que ressentait-il face aux substances ?
Bélier: J’étais très, très jeune, je ne suis pas arrivé à ce stade. Nous avons été étourdis par la vie, mais nous devons aussi cela à une famille comme Di Tella, qui a changé de quartier, ouvert plusieurs galeries et librairies, les gens sont venus voir le travail de ces personnages. Blanc? La question est de savoir si nous devons être au bon moment ou non, je veux dire par exemple quand nous parlons du péronisme d’Eva Perón et Perón ils étaient en plein moment historique. Di Tella, lui aussi, correspondait à un moment où cela pouvait et existait pleinement.

Nouvelles: Ce moment historique est la possibilité de quoi ?
Bélier: Le problème est que ce qu’il faut, c’est une conspiration qui ne peut pas être déclenchée uniquement par des volontés formellement organisées. Si le Ministère de la Culture veut faire un Di Tella, ça n’arrivera pas parce qu’il faut d’abord le génie des gens capturant l’instant, et ensuite une génération préparée depuis l’enfance à un certain moment pour en profiter grandir et se connecter le fait politique, social, économique avec l’art. Je peux taper « Je veux du génie » mais non, ce n’est pas fabriqué, c’est fabriqué par l’histoire.

Nouvelles: Comment pouvez-vous interpréter et matérialiser de manière créative quelque chose encore et encore ?
Bélier: La formule est l’exercice de réflexion quotidien et quotidien. Je connais mon intrigue jusqu’au bout de mes jours et je sais tout ce que j’aimerais faire. Ainsi, le résultat de pouvoir rester en vie est que vous avez plus ou moins imaginé une possibilité d’existence. Ce n’est pas lié aux réalisations, c’est comme une conversation interne qui s’éteindra le jour de votre départ, mais pas tant que vous pourrez encore réfléchir. Cela vaut la peine de prendre le risque et de réfléchir. Et personne ne nous dit que prendre cet engagement envers nous-mêmes sera facile et heureux., comme disait ce psychanalyste : « Qui t’a dit que tu serais heureux ». à côté de moiLe combat semble beaucoup plus attrayant que la chance. C’est comme s’il était une personne entraînée pour ce combat, parce que faire de l’art, c’est installer quelque chose dans la réalité que la réalité ne veut pas.

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Adrien Richard

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